Les groupements berbères au commencement

du Moyen-Age; leur islamisation

 

SITUATION DES BERBERES A LA FIN DE LA PERIODE BYZANTINE

 

Au moment où les arabes vont entrer en scène dans l’Afrique du Nord, il y a lieu de désigner les indigènes autochtones du nom que ceux-ci leur ont donné, celui de berbères. Les divisions territoires en usage depuis les Romains seront également changées par les Arabes; toute la contrée s’étendant de Tripoli à l’Atlantique deviendra le Magreb. Le Magreb se subdivisera en Magreb oriental ou Ifrikia, ayant pour capitales Tunis et Tripoli, en Magreb central, compris entre Bougie et Oudjda ou la Moulouya, enfin en Magreb occidental, depuis Oudjda ou la Moulouya jusqu’à l’Océan. La limite entre le Magreb central et le Magreb occidental variera aux différentes époques, suivant que les souverains de Tlemcen ou de Fes auront la suprématie sur la rive droite de la Moulouya; c’est la raison pour laquelle les historiens ne sont pas toujours d’accord sur cette limite.

Dans la première moitié du VII° siècle, les Berbères avaient atteint une certaine civilisation; sur littoral ils étaient cultivateurs et habitaient des gourbis ou des cabanes de pierre couvertes en chaume; à l’intérieur du pays ils étaient pasteurs et vivaient sous des tentes en poil. Leur costume comprenait, d’après Ibn Khaldoun, un vêtement de dessous rayé, dont ils rejetaient un pan sur l’épaule gauche, et un beurnous noir porté par dessus. Ils étaient généralement idolâtres, mais, comme on l’a vu au chapitre précédent, il y avait parmi eux des chrétiens et surtout des juifs.

Les Berbères se divisent en deux grandes familles: les Sanhadja et les Zenata. Les Sanhadja occupaient alors la région littorale du Magreb central et du Magreb occidental, ainsi que le désert situé en arrière de ces pays. Les Zenata, qui seraient une branche plus jeune de la race berbère, se tenaient plus particulièrement dans le désert de Tripoli. Un certain nombre de leurs anciennes tribus s’étaient déjà avancées sur les Hauts-Plateaux, depuis l’Aurès jusqu’aux abords de la Moulouya, amorçant ainsi leur mouvement à l’Ouest que l’on verra se continuer par la suite.

Dans la région d’Oudjda se trouvaient les Beni Fatene de la famille Sanhadja, qui tenaient tout le territoire compris entre la Moulouya et l’embouchure du Chélif; deux leurs fractions, les Koumia et les Mediouna, habitaient au nord et à l’Ouest de Tlemcen. Au sud de cette localité il y avait des Beni Irniane, appartenant aux anciennes tribus zénètre: les Beni Irniane étaient frères des Beni Ifrene.

D’après Mohammed Abou Ras Ben Ahmed “les Beni Ifrene fondèrent Tlemcen bien longtemps avant l’islamisme et en firent la capitale de leur royaume.” Ibn Khaldoun est moins affirmatif en ce qui concerne l’époque de cette fondation; selon lui la tribu des Beni Ifrene, une des plus nombreuses et des plus puissantes des Zenata, avait, lors de la conquête arabe, des ramifications en Ifrikia, dans l’Aurès et dans le Magreb central, depuis Tlemcen jusqu’à Tahert; il laisse néanmoins entendre que le royaume crée à Tlemcen par les Beni Ifrene l’a été antérieurement à l’avènement de l’Islam. Il semble donc qu’on peut admettre la présence des Beni Ifrene dans cette ville et aux environs dès le début du VII° siècle comme absolument certaine. Abou el Qâcem ben Ahmed az Zyani attribue aux émirs des Beni Ifrene la fondation d’Oudjda avant l’ère musulmane, au temps de leur puissance à Tlemcen. Cette assertion isolée ne parait pas avoir grande valeur, elle s’ajoute pourtant aux autres légendes relatives à l’existence d’une ancienne agglomération berbère à l’emplacement d’Oudjda. On voit encore aux environs de cette ville les ruines de trois vieux Ksour, qui peuvent fort bien avoir été construits avant la conquête de l’Afrique par les Arabes; ils étaient établis sur des hauteurs d’accès très difficile.

Le premier était situé au sommet du Kef Ghafess, à l’est et à l’entrée du col de Sidi Djabeur; il subsiste en cet endroit des ruines importantes.

Le second se trouvait sur le djebel Aourir; les ruines sont à la pointe est couvrent deux petits replats séparés par une arête rocheuse; le côté Nord- Est complément à pic, au sud on peut accéder plus facilement. En raison de cette disposition du terrain, le Ksar comprenait deux parties distinctes qui avaient chacune leur enceinte; c’était un vrai nid d’aigle. Le nom de ce  Ksar a été complètement oublié, mais on raconte sous la tente que les habitants possédaient des mulets chargés de leur ravitaillement et parfaitement stylés. Aussitôt qu’on avait placé des cruches sur leur bât, ils descendaient seuls à l’Oued taïret et les rapportaient pleines d’eau.

Les ruines du troisième Ksar s’étendent sur le plateau du Mehacer des Beni Yala. Ce plateau est bordé sur toutes ses faces par de hautes falaises à pic, sauf à l’Ouest; on avait donc de ce côté fermé la trouée à l’aide d’un solide mur en pisé. Les maisons étaient bâties en arrière de ce mur et dominaient la source qui sourd au pied de la falaise. Vers le milieu du plateau et en arrière de l’emplacement où se trouvaient les maisons, on distingue les traces d’une sorte de Kasba en pisé : c’était sans doute le réduit de la défense, au cas où le village aurait été force. Un escalier, ayant environ 20 mètres de hauteur et dont les différentes volées étaient encastrées entre la falaise et un gigantesque mur de pisé, permettait aux habitants de tenir la source et d’y arriver à couvert depuis les maisons. Le seul sentier que l’on peut suivre en venant de la plaine est étroit et encaissé, il est des plus faciles à  défendre. Il semble que les ruines du Mehacer des Beni Yala doivent être identifiées avec Temzezdekt ainsi qu’on cherchera à l’établir plus loin.

 Pendant que les Arabes se jetaient sur l’Afrique, les Byzantins étaient divisés à la suite de l’usurpation du patrice Grégoire. Celui-ci, avec l’appui des Berbères, chercha à arrêter les envahisseurs, mais il fut battu et tué en 647. les Grecs traitèrent alors avec les vainqueurs, qui évacuèrent l’Ifrikia après avoir perçu un fort tribu. Vers 663, les arabes furent de nouvelles expéditions au Magreb, des forces grecques tentèrent de les refouler, elles furent contraintes de l’Ifrikia : Oqba ben Nafâa en fut nommé gouverneur en 669. ce général étendit l’autorité arabe chez les Berbères, auxquels il imposa la religion musulmane ; mais il fut bientôt remplacé par Abou el Mohadjer, qui dut faire face à une révolte sérieuse des Berbères conduits par Koceïla. Abou el Mohadjer maîtrisa la révolte et atteignit Tlemcen poussant les vaincus devant lui. A la fin de 681, Oqba reprit le commandement de l’Ifrikia : imbu de prosélytisme, il s’enfonça dans l’Ouest vers 682 suivi de ses meilleurs guerriers. Oqba parvint à Tahert, où il battit les Berbères ayant avec eux quelques troupes brecques, puis il marcha sur Ceuta en passant par le Rif sans rencontrer grande opposition. Ceuta reconnaissait encore l’autorité de Byzance ; le comte julien, qui y commandait, donna à Oqba des indications sur l’intérieur du pays. Celui-ci se dirigea vers l’Atlantique, qu’il atteignit à Tanger, et poussa jusqu’au sous recevant partout la soumission et la conversion des Berbères. Il revint chargé de butin, mais, à son passage dans le Zab, il fut attaqué près de Biskra par les Berbères coalisés et trouva la mort dans le combat. A la suite de cet événement, les Berbères redevinrent pour quelque temps les maîtres du pays. La marche d’Oqba entre Tlemcen et Ceuta est difficile à suivre, les quelques indications que l’on possède montrent pourtant qu’il traversa la région d’Oudjda. Mohammed Abou Ras ben Ahmed prétend qu’il chassa les Beni Ifrene de Tlemcen dont il s’empara.

En 705, les Berbères de l’Ouest, qui après le passage d’Oqba avaient abjuré l’islamisme, virent de nouveau apparaître une armée arabe conduite par Moussa ben Noceïr, gouverneur de l’Ifrikia. Il traversa la Moulouya et battit les Romara du Rif, pénétra jusqu’au sous et s’empara de Tanger avant de regagner Kairouan. Des agents, pour la plupart Berbères convertis, étaient laissés de tous côtés par les Arabes afin de répandre la bonne changé de maîtres et même de religion, sans qu’il y ait eu islamisés apostasièrent d’ailleurs à différentes reprises avant de devenir de véritables croyants. A partir de 711, les Arabes les entraînèrent avec eux à la conquête de l’Espagne.

 Dans le Foutouh Ifrikia , qui est un récit fantaisiste de la conquête de l’Afrique par les musulmans, on trouve une série d’épisodes ayant Tlemcen et Oudjda pour théâtre. Ces épisodes sont intéressants à examiner, parce qu’ils montrent combien est enracinée la croyance fixant à la ville d’Oudjda une origine plus reculée que celle communément admise.

 Les musulmans, sous la conduite d’Abdallah ben Djafar, lequel n’est d’ailleurs jamais venu en Afrique, allèrent mettre le siége devant Medinet el Djedar (Tlemcen). Le seigneur de cette ville demanda du secours à son voisin El Ablak, roi d’Oudjda ; les deux princes étaient pourtant ennemis depuis que le premier avait refusé au second la main de sa fille Chiàa ech Chems( rayon de soleil). El Ablak accourut à Tlemcen avec une armée, il promit son appui si l’union projetée était conclue. Le roi de Tlemcen  s’y engagea, mais devant l’hostilité de sa fille qui n’aimait pas El Ablak, il eut recours à un subterfuge et donna à celui-ci une servante qu’il fit passer pour Chiàa ech Chems. Après la consommation du mariage, El Ablak, mis au courant de la supercherie par une vieille femme, entra en fureur et attaqua le roi de Tlemcen. Les musulmans profitèrent de cette bataille pour se lancer vigoureusement sur leurs ennemis ; le roi d’Oudjda fut blessé par Abdallah ben Djafar, il s’empressa de Tlemcen et avoir converti le roi à l’islamisme, les musulmans enlevèrent Tafess et allèrent assiéger Oudjda. El Ablak prit son ordre de bataille et marcha contre ses adversaires ;l’émir Oqba, qui était présent, rangea également ses troupes. Quand les deux adversaires furent en présence, il y eut d’abord une série de combats singuliers dignes des héros d’Homère, finalement tous les combattants en vinrent aux mais et la mêlée fut générale. El Ablak ayant été tué, son armée se débanda et la ville d’Oudjda tomba au pouvoir des musulmans, qui firent un riche butin. Ceux-ci, avant de retourner en Ifrikia, construisirent une mosquée soumirent à l’impôt djezia les habitants qui n’avaient pas embrassé l’islamisme.

Tafess, dont il est parlé dans cette légende, est peut-être le vieux ksar dont les ruines couvrent le sommet du Kef Ghafess, au sud-ouest d’Oudjda.